Parlons du terme “féministe”
- Persane Thème
- 13 mai 2019
- 5 min de lecture
Il n’est pas rare, lors de discussions sur le féminisme, d’entendre certaines personnes avoir des réticences quant au terme “féministe” et à s’approprier le terme également.
Certaines personnes ne trouvent pas utile le terme féminisme, préférant plutôt parler d’humanisme. D’autres diront que les étiquettes ne sont pas utiles, que les valeurs et comportements sont plus importants. D’autres diront simplement que l’égalité femme-homme est importante, mais que le féminisme n’est pas pour elles-eux. Et j’en passe, il y a tellement de variantes à cette affirmation, un livre pourrait être écrit pour les répertorier.
La renonciation au terme féministe vient simplement montrer, d’une part un jugement quant au féminisme et par la bande une ignorance quant à la complexité de ce mouvement. D’une autre part, cela montre un désir de non-action. En fait, toutes ces réponses ont le même but: invisibiliser les oppressions faites aux femmes*.
Les féminismes
En effet, peu importe la raison pour laquelle les gens renoncent au terme féministe, c’est qu’il y a un jugement par rapport au féminisme en tant que mouvement. Il y a forcément un malaise avec ce mot. Il suffit généralement de leur poser quelques questions pour trouver que les gens n’aiment pas le “féminisme”, car elles-ils ont des idées préconçues de ce dernier. Ces idées préconçues sont ancrées dans le manque de connaissances des divers courants de pensée du féminisme.
Ceci n’est pas un jugement. J’ai moi-même baigné longtemps dans cette ignorance. Tout comme mon conjoint, d’ailleurs. Je me rappelle d’une époque où j’ai entamé mon baccalauréat en Études féministes et lui qui me demande, d’un ton dégoutté : « t’es pas féministe toujours? » Nous étions loin de nous douter qu’un jour j’allais dire “men are trash” et haut et fort et qu’il allait la dire aussi fort que moi.
Cette ignorance est facilement vaincue en prenant le temps d’écouter et de lire. De faire un effort d’apprentissage pour découvrir ce qui se cache réellement derrière ce mot, ce mouvement. Le féminisme, comparativement à ce que les médias aimeraient vous faire croire, n’est pas homogène. Il est constitué de plusieurs courants de pensées aussi diverses les uns les autres, qui se nourrissent entre eux.
Il y a des féminismes anti porn / travail du sexe (les féministes radicales), des féminismes matérialistes (Marxistes), des féminismes postcoloniaux, des féministes noires, des féminismes queer (les Gender Studies), pour n’en nommé que quelques-uns. Chaque vague du féminisme comporte ses combats qui lui est propres et, je le répète, innombrables courants de pensée.
Il y a un univers entier entre les écrits d’Olympe de Gouges, qui voulait que les femmes deviennent citoyennes, et les discussions plus récentes entourant la 3e vague du féminisme, le postféminisme ainsi que la 4e vague du féminisme.
Toutes les féministes ne sont pas d’accord, ni ne sont-elles toutes en harmonie. La seule chose sur laquelle toutes et tous s’entendent et se rejoignent: il y a une oppression systémique des femmes et elle doit être combattue.
Le non-action
S’identifier féministe est intrinsèquement une prise de position politique. C’est plus qu’un simple mot: c’est un engagement. Lorsqu’on s’identifie comme tel, on réclame un changement de système, la fin des oppressions systémiques des femmes. On s’engage à prendre position face à des situations injustes et même, au besoin, à faire un travail d’éducation (comme je le fais présentement, par exemple).
En rejetant « l’étiquette » féministe, ou alliée-é du féminisme, on refuse cet engagement. On ne crache pas nécessairement sur le féminisme, mais on sous-entend qu’on ne croit pas en ce mot, à ce mouvement. Si l’on croit qu’un mot « ne change rien », c’est qu’on ne croit pas que le mouvement derrière, ne peut rien changer. C’est dire que toutes les femmes et les hommes qui produisent les connaissances dans ce domaine, toutes les personnes qui font des manifestations, toutes les personnes qui osent prendre la parole contre un système oppressant ne changent rien.
Qui plus est, le fait de changer nous-mêmes ne changera rien. Cela manifeste un désir de ne pas vouloir être rappelé de ses propres comportements oppressants et nocifs; après tout, si je ne m’identifie pas comme féministe, pourquoi le devrais-je? C’est également garder la possibilité de « dismiss » des discours féministes, sous le couvercle d’une prétendue « neutralité », puisqu’après tout, je ne suis pas féministe, je suis neutre, n’est-ce pas? L’individu qui rejette l’appellation « féministe », qui n’y croit « pas », est en train de vous dire qu’il ne croit pas en vous, et qu’il s’en balance que vous ayez les connaissances dans ce domaine, peu importe la source. Il se positionne, encore une fois, en rapport de pouvoir avec vous.
Le refus de s’identifier féministe est un refus de prise de conscience et un refus de reconnaître une réalité.
L’invisibilisation des oppressions
Il y a bel et bien un rapport de pouvoir dans le fait de rejeter un terme qui vise à nommer des oppressions spécifiques. Ce sont souvent des personnes qui ont des privilèges sociaux qui refusent les termes qui servent à nommer les oppressions. En ce sens, ces personnes ont le privilège de pouvoir choisir de rejeter un mot, car elles-ils ne sont pas directement touchées-és par ces oppressions.
Ne pas utiliser le mot « féminisme », c’est passer sous silence que l’on reconnait des oppressions systémiques faites aux femmes.
Pourquoi? Parce que ce terme a émergé dans un contexte historique précis où les femmes n’étaient pas citoyennes. Elles n’étaient pas libres d’elles-mêmes. Elles appartenaient à autrui. Elles se sont dissociées de l’humanisme, car l’homme (parfois avec un grand H) ne visait uniquement que les hommes.
Refuser le terme, c’est refuser de voir ce combat-là. Tout comme quelqu’un qui dit « Je ne vois pas la couleur de
peau », participe à l’invisibilisation du racisme systémique.
Pourquoi? Parce que si votre but est de dire que vous traitez tous les êtres humains de la même façon, de façon équitable, ça a beau être noble et gentil, il n’en reste pas moins qu’un système au complet ne traite pas ainsi les personnes racisées et il est important de le reconnaître avant de pouvoir effectuer un changement.
Pensez-y de cette façon: les gens ne croient ni au racisme systémique ni au sexisme systémique. Comment alors pouvons-nous changer le système, si dans la conscience sociale il n’y a pas de problème?
En. Nommant. Les. Choses. Nous. Les. Faisons. Apparaître.
Maintenant, si vous n’y croyez pas, c’est une autre chose entièrement et ce texte ne s’adressait pas à vous.
Mais si vous êtes moindrement à l’affût des injustices sociales, je vous invite très cordialement à ne pas avoir peur de les nommer quand vous les voyez.
Consolez-vous: nous avons passé l’époque où vous auriez pu être guillotiné pour avoir parlé de féminisme. Vous pouvez vous mouiller un peu. ;)
* Le terme femme est utilisé tout au long du texte par souci de concision. Je reconnais qu’il n’y a pas que des femmes cisgenres, mais une panoplie de femmes et d’individus qui sont dorénavant compris dans le féminisme et dans l’utilisation du terme femmes.*
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