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Pour en finir avec les débats sur l'avortement

  • Photo du rédacteur: Eva Luna
    Eva Luna
  • 23 mai 2019
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 mai 2019

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » — Simone de Beauvoir

C’est difficile de commencer un article comme celui-ci : on en parle déjà partout. Pas assez encore, je pense, mais quand même. Ça prend beaucoup de place. Peut-être pas assez sur les réseaux sociaux encore, parce qu’il faut vraiment que tout le monde se révolte, mais bien assez de place dans nos têtes et nos cœurs lorsque ce sont nos droits qui sont menacés et qu’on s’attaque directement à notre autonomie physique. C’est franchement épuisant et bouleversant. Mais je le fais parce j’ai besoin, comme la plupart d’entre-nous je pense, de me vider le cœur.


L’Alabama est le premier État à interdire l’avortement. La tendance dominante actuellement est l’adoption de lois soutenant la régulation des naissances et l’avortement. Depuis le début de l’année, la Géorgie, le Kentucky, le Mississippi et l’Ohio ont adopté des projets de loi similaires restreignant le recours à l’avortement aux six premières semaines de grossesse. Six semaines, c'est même trop tôt pour détecter les battements de cœur du fœtus. Plusieurs personnes n’ont alors même pas encore conscience d’être enceint-es. Le Parlement du Missouri, lui, a adopté une loi interdisant aux médecins de pratiquer des avortements après la huitième semaine de grossesse. En Arkansas et dans l’Utah, on a aussi limité l’avortement aux 18 premières semaines de grossesse depuis le début de l’année.


Des manifestants pro-choix dans la rue à Ottawa. Photo : Radio-Canada / Josée Guérin

Pas seulement ailleurs : le Canada et le Québec ne sont pas à l'abris


Le 16 avril dernier en Alberta, Jason Kenney a été élu. Il s'agit d'un homme politique reconnu pour être anti-choix. Ce dernier a choisi comme ministre de l’éducation Adriana LaGrange, l’ancienne présidente du Red Deer Pro-Life, une organisation anti-avortement. Également, le 9 mai dernier, un député du gouvernement conservateur de Doug Ford, Sam Oosterhoff a dit : ''We pledge to make abortion unthinkable in our lifetime.'' (« Nous voulons que l’avortement devienne impensable de notre vivant. ») Et puis ici, au Québec, une médecin de famille a déposée, conjointement avec une organisation anti-choix, une demande de jugement déclaratoire devant la Cour Supérieure du Québec afin de révoquer l’interdiction de manifester devant les cliniques d’avortement.


L'Alabama, c’était la pointe de l'iceberg. Et le dévoilement de l'iceberg au complet ne fait que commencer.


Le droit à l'avortement au Québec et au Canada en statistiques


Les années 60

C'est seulement en 1960, au Canada (et au Québec), que le gouvernement fédéral a autorisé la mise en marché de la pilule contraceptive. À peine 60 années depuis se sont écoulées. Deux ans plus tard, en 1962, l'avortement est encore illégal, alors que 57 617 des admissions à l’hôpital sont dû à des auto-avortements ou à des avortements clandestins, et les complications qu’entraîne un auto-avortement ou un avortement clandestin deviennent la principale cause d’hospitalisation des Canadiennes, avec plus de 45000 admissions en 1966. Un an plus tard, en 1967, le Québec est la première province au pays à financer une clinique, un centre et une association de planification des naissances, et ce, malgré les restrictions législatives. Enfin, en 1969, on fait un grand pas vers l'avant : le projet de loi C-150 est adopté à Ottawa. L’annonce ou la vente de produits contraceptifs deviennent légales et l’avortement est aussi permis, mais seulement si un comité composé de trois médecins juge que la vie ou la santé de la personne enceinte est en danger.


Les années 70

En 1970, des centaines de femmes manifestent sur la colline du Parlement à Ottawa pour le droit à l’avortement. Nombreuses font de même à Montréal lors de la première manifestation québécoise en faveur du libre choix. La même année, le Dr Henry Morgentaler ouvre une clinique d’avortement à Montréal, malgré le fait que cette pratique soit encore criminalisée. En 1976, les poursuites envers ce dernier cessent, ainsi que celles contre les médecins pratiquant des avortements hors des seuls hôpitaux accrédités. Le combat judiciaire du Dr Henry Morgentaler a joué un rôle de premier plan dans la libéralisation de l’avortement au Québec et au Canada, jumelé aux actions du mouvement féministe.


Les années 80

Dans les années 1980, le Dr Morgentaler continue son combat pour le libre choix des femmes en ouvrant de nouvelles cliniques d’avortement dans d’autres provinces canadiennes. Il y sera poursuivi en justice et en appellera devant la Cour suprême du Canada, pour finalement obtenir gain de cause. Ses convictions et sa détermination auront contribué à libéraliser la pratique de l’avortement au pays, puisqu'en 1988, Santé Canada décrète que l’avortement est une procédure médicale essentielle dont le financement doit être assuré par les programmes provinciaux d'assurance maladie. C'est donc seulement cette année que la Cour suprême décriminalise enfin l’avortement en invoquant la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. Néanmoins, la Cour laisse la possibilité au législateur de restreindre ce droit, en vue de protéger le fœtus.


Les années 00

En 2008, il y a donc de cela seulement 11 ans, le droit à l'avortement est remis en cause : le projet de loi fédéral C-484, un projet de loi privé intitulé « Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels», est adopté en Chambre en seconde lecture. Il sera finalement rejeté, mais suivi par plusieurs autres projets de loi privés et motions, dont la motion Woodworth en 2012, visant l’étude par un comité parlementaire des droits du fœtus. Bien que huit membres du cabinet conservateur aient voté en sa faveur, celle-ci sera également rejetée par le Parlement.


Et c'est ce qui nous amène à aujourd'hui. Seulement 31 ans depuis la décriminalisation de l'avortement, et à peine 7 ans depuis sa remise en cause.


La citation de Simone de Beauvoir prends alors tout son sens.



Plusieurs manifestants brandissaient des cintres, comme ici dans East Vilklage, à New York. Photo : Getty Images / AFP / Timothy A. Clary

Le droit à l’autonomie physique et à la liberté de choix


Je ne saurais qualifier le degré de violence qu’est le fait de remettre le débat de l’avortement sur la table. Un droit aussi fondamental et nécessaire pour la santé physique et mentale de tellement de personnes avec l’incroyable malchance du moment d’être né-e avec un utérus. Il n’y a vraiment aucun mot pour décrire l’intensité de l’esti de claque dans face que tu ressens lorsqu’on te fait comprendre que tu n’es pas vraiment libre - encore. Que ton corps, ce n’est pas vraiment le tiens, et que ce ne l’a jamais réellement été aux yeux de l’État. Comme si, du haut de ton vécu de personne qui, en résumé, n’est pas un cis dude, tu n’avais pas le sens critique, la sensibilité, le raisonnement pour faire un choix aussi décisif et irréversible que de se faire avorter. Mais personne ne se fait avorter en utilisant cette méthode comme moyen de contraception. Aucun-e d’entre-nous qui se fera avorter ou voudra peut-être un jour faire ce choix, se réjouit de devoir prendre cette décision, aussi sensée qu’elle est pour nous selon notre état et nos vies. L’avortement est une décision prise consciemment, avec comme effet l’impression d’ouvrir la porte de la cage dans laquelle la grossesse non-désirée nous a emprisonnée. Il n’y a pas de bonnes et mauvaises raisons de se faire avorter, et il n’y a pas de raisons plus logiques ou qui soient plus valides que d’autres. Et surtout, ces raisons ne nous regarde pas. Elles regardent la personne qui a fait le choix de se faire avorter. Personne d'autre. C’est tout.


Un être vivant ne se définit pas seulement par le fait qu’il ait des fonctions


Au delà de l'argument éthique soutenant le fait que toute personne devrait avoir droit à l'autonomie physique et à la liberté de choix, il y également l'argument scientifique qui, je crois, est un argument irréfutable pour répondre aux adeptes du mouvement pro-vie : un être vivant ne se définit pas seulement par le fait qu’il ait des fonctions. Dans le livre de Francis Kaplan, « L’embryon est-il un être vivant ? », l’argumentation repose sur la distinction faite entre être vivant et être un être vivant. Au même titre qu’une main, un pieds ou encore un œil, l’embryon est du vivant, puisqu’il est un ensemble de tissus et de cellules. Cependant, il ne peut être « un être vivant », puisqu’il n’est pas un individu doué d’unité, d’identité et d’indépendance. (source) En effet, l'idée d'un être vivant suppose « une indépendance suffisante, un fonctionnement et un développement autonome. » Un être vivant ne se définit donc pas seulement par le fait qu’il ait des fonctions, il faut également qu’il ait toutes les fonctions qui lui permettent de vivre. Cela étant dit, cela ne signifie pas que ce dernier doit être totalement autosuffisant, ce qui, d’ailleurs, est impossible et contraire au concept de vie, mais il ne doit cependant pas dépendre d’une ou plusieurs fonctions d’un autre être vivant pour assurer sa survie. C'est pourtant le cas de l'embryon : ses fonctions principales sont assurées par le corps de la personne qui le porte. Par exemple, les sécrétions de différentes cellules de la personne qui porte l'embryon fournissent à ce dernier cles métabolites nécessaires à son implantation et au fonctionnement de son métabolisme. Bien sûr, l’embryon remplit certaines fonctions, mais il dépend tout de même entièrement de l’activité biologique du corps de la personne enceinte pour rester en vie.


Pourquoi est-ce qu'on laisse encore les rich white cis dudes décider pour nous?


Je sais que je vais avoir offensé une grande partie des hommes blancs cisgendres (et souvent hétérosexuels dans ce cas-ci). Je suis désolé si vous avez ressenti cela comme une attaque à votre personne. Vous êtes tous différents. Vous êtes uniques, et comme n'importe quel « groupe », vous êtes composé de « gentils et de moins gentils. »


Mais là n'est pas la question.


Avoir des privilèges dans une société qui vous accommode constamment n'est pas un crime et ce n'est certainement pas de votre faute à vous, personnellement, en tant qu'individu. Cependant, il est de votre devoir d'utiliser vos privilèges à bon escient. Vous pouvez être un homme blanc cis hétéro et évidement (je l'espère fortement) ne pas soutenir les comportements racistes ou misogynes. Lorsqu'on parle des « maudits rich white cis dudes », on ne vous pointe pas du doigt, vous en tant qu'individu nécessairement, on s'attaque à un système oppressif, à des comportements qui eux, sont perpétués majoritairement par des hommes. « Mais si vous ne visez pas tout le monde, pour quoi vous généralisez comme ça ? » Parce qu'il y en a trop. Trop de violence envers les fxmmes commises pas des hommes, très souvent blancs et cis. Trop, et définitivement assez pour se révolter et constater qu'une grande partie du problème vient de ce groupe, même si de ses individus sont formidables.


Enfin, je crois qu'il est plus que compréhensible qu'autant de personnes qui ont un utérus se sentent frustré-e-s et même aliéné-e-s lorsque des personnes qui n'ont pas d'utérus, et qui n'auront donc jamais à se faire avorter ou à porter un enfant, décident pour nous. Nous sommes capable de gérer notre propre corps, merci bien.


Des centaines de personnes, dont le leader de la minorité démocrate au Sénat Charles Schumer (au lutrin), ont manifesté mardi devant l'édifice de la Cour suprême des États-Unis pour défendre la légalité de l'avortement. Photo: Getty Images / Tasos Katopodis

Et maintenant... qu'est-ce qu'on fait ?


Alors, vous me demanderai, qu’est-ce que je peux faire? Cette question me tourne en rond dans la tête depuis un moment déjà. En récoltant des informations ici et là, je suis tombé sur un super statut sur Facebook de la journaliste et rédactrice pigiste Elisabeth Massicolli. Heureusement que je me dis, parce que je me sentais si impuissante, et lire son statut m'a donné tout de même un peu d'espoir.


Voici quelques façons d’aider, selon nos capacités physiques et mentales :

  • Donner des sous au National Network of Abortion Funds, un organisme venant en aide aux personnes défavorisées qui souhaitent se faire avorter, dans plus de 38 états ;

  • Donner des sous au Planned Parenthood, ou encore le Access Reproductive Care-Southeast, Inc., aidant les personnes avec des utérus spécifiquement dans les états du Sud, dont la Georgie et l'Alabama ;

  • Et une autre façon, qui semble évidente, mais qui est primordiale : EN PARLER. À tout le monde. Le droit des femmes à la santé reproductive est encore et toujours menacé. SPEAK UP.


Si tu as l’immense chance de ne pas avoir d’utérus présentement, et surtout si tu es un white cis dude, j’espère que tu vas te déniaiser pis venir marcher avec nous. Parce que je te promets qu'on va se tenir debout, nous-autres. Et parce que ça te concerne aussi.


Sur ce, on reste fort-e-s et fier-e-s.

Et vigilant-e-s.


The most common way people give up their power is by thinking they don't have any. — Alice Walker

Ève xx

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